L'édito de janvier 2024

La bonne année et son chapelet de vœux de bonheur. Un bain affectif qui nous enveloppe de douceurs et de promesses d’amour.

Oui, mais de quoi parlons-nous vraiment ?
Les croyances autour du bonheur font toutes référence à des « choses à faire », « des projets à réaliser », « des rêves à accomplir » qui sont censés augmenter notre indice de satisfaction de vie, notre niveau de bonheur.
Et voilà comment nos croyances nous piègent constamment…
Cette quête est vaine car nous nous habituons au plaisir.
Lorsqu'une nouvelle expérience nous procure du plaisir, nous cherchons encore et encore à la renouveler, mais finalement nous nous y habituons et la sensation de plaisir diminue…
Nous cherchons en fait au mauvais endroit.

Ce qui va le plus déterminer notre sentiment de satisfaction de vie ne se trouve pas dans nos conditions de vie, mais dans notre engagement personnel et émotionnel. Le bonheur se calcule en émotion, et non en euros, en nombre de voyages réalisés ou en kilomètres parcourus en course à pied. Le bonheur est résolument un sentiment, loin de la logique froide de nos raisonnements intellectuels, de l’émotion à l’état pur…

Nous vous souhaitons une année 2024 vibrante d’émotions !

2024 billet de la psy 1

Voici venu le temps de la nouvelle année et avec elle les promesses d'une année meilleure.
"Allez, cette année, c’est la mienne ! C’est la tienne ! C’est la nôtre !"

Au creux de nous, l'espoir. D'une rencontre qui changera notre vie, de l'évolution d'une situation professionnelle qui s'ouvrira enfin, d'une vie sociale ou familiale plus apaisée… de tant et tant de rêves, d'envies, de projections de ce que nous pensons nécessaire pour être plus heureux. Ou simplement heureux.

C'est le principe de la course au bonheur, la quête du Graal.

Notre cerveau a besoin de sens, de raisonnement, de comprendre. C'est sa fonction, sa mission. Il échafaude d'innombrables théories pour nous donner la grande illusion de contrôler nos vies. Nous voilà alors sûrs et certains que nous serons heureux quand… quand nous serons amoureux, quand nous serons parents, quand nos enfants seront grands, quand nous aurons divorcé, quand nous aurons démissionné, quand nous gagnerons plus d'argent, quand… Une grille pragmatique, logique, avec des cases à cocher pour enfin gagner le carton plein du bonheur.

Intellectualiser le bonheur peut nous donner la sensation de le maîtriser. Il est évidemment bien plus rassurant de planifier les différentes étapes à franchir pour remplir son réservoir "bonheur". À l'image de la recette, le traitement cognitif et séquentiel, celui qui nous permet de réfléchir étape par étape, check par check, nous procure ce sentiment de puissance, de contrôle qui nous est si cher dans cette traversée de vie. Alors vite, vite, nous voulons vivre avant… de mourir, d'être trop vieux, trop malade.

Vite, il faut profiter de la vie, faire quelque chose de sa vie, réussir sa vie. Mais quelle pression quand on y pense…

Vigilance au piège de l'adaptation hédonique.

Un piège bien connu des études en psychologie positive sur le bonheur. Nous espérons, nous voulons, nous élaborons notre théorie du bonheur autour de l'atteinte d'objectifs concrets et spécifiques (nouvelle maison, nouvel amoureux, nouveau travail…), mais dès que nous atteignons cet objectif, nous nous y habituons… L'habitude nous berce d'un sentiment d'ennui, un goût fade nous envahit à nouveau. Le shoot de plaisir, au sens hormonal du terme, qu'il suscite au départ s'éteint peu à peu.

Par exemple, le niveau de bonheur augmente les deux premières années de mariage puis revient à son niveau de départ (Lucas et al., 2003)… et hop, nous nous centrons alors sur un nouveau projet qui nous donne un nouvel objectif "bonheur" à penser… Puis ce sera un autre… Une quête sans fin.

Alors oui, bien sûr, changer de cap, modifier nos trajectoires de vie est parfois essentiel, voire indispensable, pour nous réaligner à nos valeurs et nous sentir mieux. Mais le piège de l'adaptation hédonique rétrécit considérablement notre réelle propension à être heureux. Il est donc à manipuler avec précaution. Se projeter, construire de nouveaux projets, oui bien sûr, mais aussi en parallèle garder en conscience que le bonheur est loin d'être uniquement une liste de projets ou d'objectifs à atteindre.

Nous le savons bien pourtant au fond de nous-mêmes, le bonheur, ou le "sentiment de satisfaction de vie" pour le terme plus technique, est bel et bien un sentiment… donc il a une essence bien plus complexe, diffuse, incontrôlable, que la planification objective de notre raisonnement logique.

La logique au défi de la vie.

Loin d'être une check-list à accomplir, la vie c'est seulement, uniquement, un vécu subjectif.
Ce mot peut sembler barbare, mais il est à lui seul le résumé de nos vies intimement nichées au creux de nous-mêmes. Il signifie que quoique l'on fasse, où que l'on soit, ce qui compte ne sont pas les faits en eux-mêmes, mais notre manière d'éclairer ces faits. Notre regard, notre lecture, notre interprétation de la vie.

Il y a des personnes qui ont « tout pour elles ». Dans les faits. Beauté, intelligence, réussite professionnelle, amis, amour, argent. Bref, elles cochent toutes les cases de cette fameuse check-list. Et pourtant, un soir, un matin, noyées, dévorées dans leur vécu subjectif, elles se porteront cet ultime geste, ce point final. Les faits étaient bien loin de leur vécu subjectif.
Souvent, nos patients sont eux-mêmes piégés par cette relative incohérence. Ne s'autorisant pas « d'aller mal » car « il y a tellement pire ailleurs ». Le fameux « tu as tout pour être heureux » est le poignard qui ajoute au mal-être un profond sentiment de culpabilité et d'incompétence au bonheur. La logique interdit le sentiment. Pourtant, le sentiment existe et se fiche bien de la logique.

Alors évidemment, il est plus probable de construire un vécu subjectif doux et serein lorsque les faits y sont favorables. Une trajectoire de vie qui permet d'éviter les drames, le manque, le malheur, la souffrance, la perte, est fondamentalement une trajectoire de vie plus protectrice.

Mais la trajectoire des faits ne fait pas tout, loin de là !

Le vécu subjectif est un enjeu psychologique majeur.

Il ouvre les portes de la résilience, il est le gardien de notre sentiment d'exister. Il explique notre capacité à transcender le réel. Décidément, l'objectivité a bien des limites; tout, oui, peut-être que presque tout, n'est qu'une question d'éclairage subjectif.

Il ne s'agit pas ici de sommer la morale ou de porter la bonne parole du genre « regarde le positif », « dans chaque malheur, il y a une part de bonheur », « prends la vie du bon côté ». Nous avons entendu ce discours tant et tant de fois… et si c'était si simple, nous l'aurions tous déjà trouvé ce fameux « bon côté » !

Il s'agit plutôt de dresser une compréhension, une prise de conscience de ce qui tisse notre subjectivité à chaque instant de nos vies. Schémas issus de notre passé, de notre histoire ? Méandres imperceptibles de notre inconscient ? Chimie et neurochimie de notre cerveau ? Caractère, tempérament, personnalité ?

Nous sommes pris au piège de toute cette symphonie intérieure qui mène la danse et qui nous précipite dans des émotions, des pensées, dont la construction et l'émergence nous échappent.

Le corps est là, mais à l'intérieur, je vis quoi ?

Qui ne s'est jamais retrouvé dans un contexte magnifique, le corps au soleil, enveloppé dans un paysage somptueux, tous les sens rassasiés et pourtant un sentiment de vide, de mal-être, une inquiétude, une préoccupation va venir colorer cette expérience du corps en un vécu subjectif tellement éloigné du réel. « Profite du moment présent », voilà encore une belle parole, qui au lieu de nous aider, vient nous culpabiliser… encore ! Non seulement je n'y arrive pas, mais en plus je me sens responsable, coupable de ne pas y arriver.

Stop !

Ainsi, sommes-nous humains. Construits dès les débuts de nos vies dans des circuits psychologiques et neuropsychologiques qui vont mener la valse de notre vécu subjectif. Victime ? Oui, certainement. Mais justement, lorsqu'il est possible de remettre de la perspective dans toute cette machinerie intérieure, nous pouvons enfin sortir de cette position de victime.

Devenir acteur ? Jamais complètement et heureusement, mais vivre de manière plus éclairée. Savoir et reconnaître notre vécu subjectif, c’est en soi un pas de géant. Vivre dans la profonde conscience de notre vécu subjectif permet de véritablement relativiser, c’est-à-dire d'admettre que mon regard n’est qu’un regard et que d’autres possibilités existent. Reconnaître l’existence de son vécu subjectif, c’est adopter une position ouverte, capable aussi de mieux écouter le vécu subjectif des autres, de moins trébucher dans des problèmes de communication parfois énormes et finalement d’être plus à même d’intervenir en conscience sur ce vécu subjectif pour le remettre en perspective, le moduler. Être flexible.

Belle année et bon vent à tous !
Nous vous souhaitons de trouver cet équilibre. Un jour après l’autre. Une heure puis la suivante. Non pas la paix intérieure, qui est un concept qui n’a pas vraiment de sens sur le plan psychologique, mais plutôt de trouver cette souplesse, cette magnifique flexibilité, qui permet de vivre, en alliance, main dans la main avec la vie et ses surprises.